Artkatana
Les Tenka go ken ou cinq sabres célestes
Introduction
Le sabre japonais, à la fois œuvre d'art et arme redoutable, n'a eu de cesse au cours de l'histoire d'éveiller la curiosité et de nourrir nombre de récits remarquables et de légendes. Au Japon le katana n'est pas seulement une arme, c'est un objet d'adoration aux connotations divines. Ainsi l'épée est un des éléments sacrés permettant de désigner l'empereur, qui acquiert à travers elle la légitimité d'exercer. De plus les fouilles archéologiques permirent de trouver énormément de sabres dans les temples et les autels. Un environnement donc propice à l'apparition de sabres redoutables et de mythes autour de ceux-ci. Les Tenka go ken, ou les 5 épées célestes, font partis de ces sabres de légende.
Les Tenka go ken
Pendant l'ère Muromachi (1336-1573) la famille Ashikaga, à l'époque shogun du Japon (gouvernement militaire), se procure 5 tachi qu'ils considèrent d'une valeur absolument inestimable. De nombreuses légendes vont alors naître autour de ces sabres, qui sont encore aujourd'hui considérés comme étant d'une qualité exceptionnelle. Tous forgés avant le milieu de la période Kamakura (1185-1333) ces sabres sont des tachi, ancêtres des katanas, en général plus courbés. Parmi eux, le « Oni-maru Kunitsuna » par Awataguchi Kunitsuna, qui aurait tué un démon qui hantait le régent Hojo Takiyori. Chaque nuit le démon serait apparût dans la chambre du régent, et une nuit, le régent rêva d'un vieil homme qui lui dit alors « Je suis le sabre de Kunitsuna, quelqu'un m'a touché avec des mains sales et je ne peux à présent sortir de mon fourreau car je suis trop rouillé. Si tu veux te débarrasser de ce démon, tu devrais me libérer de cette rouille ». Le matin suivant, Takiyori nettoya soigneusement le sabre et l'exposa. Le sabre serait tombé comme par magie, serait sorti de son fourreau et aurait frappé le pied du brasier le plus proche, qui était fait d'argent. Depuis Takiyori n'aurait plus jamais été hanté. Il nomma alors le sabre « Onimaru ». Ce tachi légendaire est ensuite passé par les mains des plus grands hommes du Japon, Nitta Yoshisada, Ashikaga Takauji, Oda Nobunaga, Toyotomi Hideyoshi les Tokugawa et enfin l'empereur Mutsuhito de la période Meiji.
Oni-maru Kunitsuna
Vient ensuite le « Ōtenta-Mitsuyo » par Miike Mitsuyo. Il était dit que ce tachi possédait des pouvoirs magiques, et c'est du vivant d'Hideyoshi qu'une légende naquit à partir de ce sabre. Maeda Toshiien, un des généraux très strict de Nobunaga Oda, aurait été soumis à un test de courage pour débarrasser un couloir d'un fantôme. Hideyoshi ayant entendu parler de ce test, confia le sabre à Toshiien, bien que les deux hommes avaient respectivement été nommés Saru (« singe ») et Inu (« chien ») par Nobunaga Oda, en s'appuyant sur la croyance disant que chien et singe ne peuvent se supporter, puisque Hideyoshi était en effet très facile à vivre et drôle, alors que Toshiien était droit et sévère. Avec ce sabre, Toshiien alla dans le couloir sans hésiter. Rien ne s'y passa, peut être que grâce aux supposés pouvoirs du sabre le démon s'enfuit, ou peut être n'était-ce qu'une histoire absurde. Quoi qu'il en soit le courage de Toshiien fût remarqué. (Il faut s'imaginer qu'à l'époque les gens croient aux démons, et que faire face à l'un d'entre eux est une preuve énorme de courage). Par la suite, la quatrième fille de Toshiien fût atteinte d'une fièvre inexplicable. Hideyoshi confia alors le Ōtenta-Mitsuyo à Toshiien pour l'aider à repousser les forces maléfiques. Plus tard, il fût dit que tout ceci n'avait été qu'un prétexte pour que le général récupère le sabre. Une autre version de cette histoire existe, rien n'est donc sûr quant à l'exactitude des faits. Comme le tachi précédent, ce sabre est dans tous les cas une pièce techniquement excellente, renommée par ailleurs pour sa forme (sugata) parfaitement réalisée.
Ōtenta-Mitsuyo
Le « Dojigiri Yasutsuna » forgé par Hoki Yasutsuna, aurait été utillisé par Minamoto Yorimitsu pour pourfendre un démon qui harcelait les habitants de la région montagneuse de Ōeyama au nord de Kyoto. L'empereur ayant reçu des plaintes d'un démon qui volait les habitants, Yorimitsu serait alors allé sur place avec ses quatre généraux. Ils rencontrèrent dans les montagnes trois vieux hommes déguisés en divinités, qui leur offrirent trois objets magiques, un casque, une corde, et une bouteille de vin anesthésiant. Arrivés en haut de la montagne, un banquet en leur honneur eu lieu. Ce banquet fût ordonné par Shutendōji, un brigand, qui à force de massacres serait devenu le fameux démon dont Yorimitsu devait se charger. De la viande et du sang humain leur fût servit pendant le repas, mais ne souhaitant pas être repérés, ils mangèrent sans ne rien laisser paraître. A la fin du repas ils servirent à Shutendōji et ses hommes une coupe du vin magique. Ils ne tardèrent pas à tomber dans un sommeil profond, et les hommes de l'empereur décimèrent alors la bande de malfrats maléfiques au moyen du sabre légendaire. Lorsque la tête de Shutendōji vola dans les airs, elle s'arrêta un instant et fondit sur Yorimitsu pour le mordre, mais le casque magique le protégea de cette attaque démoniaque. Le nom de Dojigiri fût alors donné au sabre (littéralement, « tueur de Dōji »). Le sabre a aujourd'hui été classé trésor national.
Dojigiri Yasutsuna
Le « Mikazuki Munechika » (littéralement : "Munechika avec croissants de lune") forgé par Sanjo Kunitsuna, aurait été demandé au forgeron par l'empereur. Aussi, Sanjo se rendit alors à l'autel Fushimi à Kyoto, pour prier et demander de l'aide. Un esprit malin aurait alors fait son apparition, sous forme de Kitsune (un des yōkai, ou esprit de la nature, celui-ci étant celui d'un renard sous la forme d'une femme). Cet esprit d'Inari (divinité des céréales, des fonderies et du commerce) aurait aidé le forgeron à créer une lame d'une exceptionnelle beauté. Le sabre est aujourd'hui un trésor national, et son histoire est diffusée à travers entre autre la pièce de Noh (théâtre japonais) « Kokaji ».
Mikazuki Munechika
Le « Juzu-maru Tsunetsugu » par Aoe Tsunetsugu, est devenu célèbre en étant porté par le grand prêtre bouddhiste Nichiren, qui l'emmenait avec lui en entourant un juzu (collier de perles bouddhiste) autour de la tsuka (manche) du tachi. Nichiren était un moine non violent, mais ce sabre aurait été utilisé dans un but politique et pour sa connotation divine. On n'a pas d'informations particulières sur la manière dont a été forgé ce tachi, mais comme tous les autres Tenka go ken ou sabres célestes, il est d'une qualité indéniablement supérieure.
Juzu-maru Tsunetsugu
En clôture, l'épopée des Tenka go ken, ces cinq épées célestes, transcende le simple récit pour devenir une exploration captivante de la relation complexe entre l'art, la spiritualité et la puissance symbolique du sabre japonais. Au fil des siècles, ces lames remarquables ont joué un rôle essentiel dans la société nippone, bien au-delà de leur fonction martiale. Le katana, fusion d'artisanat exquis et de signification divine, se révèle comme un objet d'adoration, lié à la légitimité de l'empereur.

Les fouilles archéologiques, révélant la présence abondante de sabres dans les temples et les autels, attestent de la place prépondérante de ces armes dans la sphère spirituelle. Cet environnement sacré a fourni le terreau fertile où ont pris racine des récits épiques et des mythes envoûtants entourant les sabres exceptionnels tels que les Tenka go ken. Ces cinq lames, par leur histoire et leurs exploits, ont acquis une aura légendaire, symbolisant la quintessence de l'art martial et de la transcendance spirituelle.

Ainsi, la saga des Tenka go ken se dresse comme un chapitre fascinant dans le vaste livre de l'histoire des sabres japonais. Ces lames, bien plus que de simples instruments de combat, portent en elles les échos du passé, façonnant l'identité culturelle et spirituelle du Japon. En explorant ces récits, nous plongeons dans un univers où l'art et la guerre s'entrelacent, créant une symphonie d'esthétisme et de force qui continue de captiver et d'inspirer. Les Tenka go ken demeurent ainsi des gardiens immortels de la richesse patrimoniale, rappelant à jamais la grandeur et la profondeur de la tradition des sabres au Pays du Soleil Levant.